vendredi 12 décembre 2008

Job: portier




C'est sur la "route chinoise", en quittant Lalibela, que nous sommes tombés en panne. Cette route a été percée avec l'aide des Chinois (qui dirigent aussi des chantiers dans le sud) - ils sont vraiment partout ces Chinois, faut les voir dans les hôtels, fumant à table, scotchés à la TV; c'est une route infernale, la plupart du temps à une seule voie, ornières et poussière, et les camions qui roulent à tombeau ouvert.


Réparation de fortune (il se trouve toujours l'un ou l'autre quidam sorti de nulle part pour donner un coup de main), et Santi me dépose dans un hôtel à la première ville pendant qu'il va au garage; à 16h, tout est ok, il vient me rechercher et décide que nous continuons l'étape, même si le chemin est encore long. Il faut lui rendre justice: courageux, infatigable, sens des responsabilités...


A 18h, la nuit tombe en Ethiopie, et conduire dans le noir est suicidaire (piétons, animaux errant sur la route, ornières invisibles, et risque de car jacking); aussi Santi décide que nous stopperons à Dessié.


Dessié dispute à Charleroi le statut de plus laide ville du monde, et peut-être Charleroi a un avantage, vu que les routes sont toutes pavées... De nuit, c'est un vrai cauchemar. Comme Dessié n'ai rien d'un arrêt touristique, les seuls hôtels à peu près corrects sont des "motels" pour camionneurs.


Santi s'excuse, il n'y a pas mieux. Je suis la seule blanche dans l'établissement, et la seule femme, si on excepte deux putes vulgaires qui rigolent au bar. Au resto, on me présente la carte pour me dire que rien n'est disponible, sauf des spaghetti. Dans les chambres, pas d'eau, sauf par terre (une constante dans les salles de bains), et la compagnie des moustiques.


J'ai survécu en lisant les aventures de Thesiger en Arabie (beaucoup plus dures que les miennes) et en sirotant un demi-litre de mon vin préféré. J'ai postposé la grande toilette à des jours meilleurs.


Chaque fois que je débarque dans un hôtel, un portier porte ma valise (sur la tête d'habitude) pour un pourboire dérisoire. Comme Santi a fixé le départ à 06h du matin le lendemain, je me demande comment je vais trimballer mon bagage à cette heure matinale.


A croire qu'il a dormi devant ma porte, mais le portier est là, qui attend pour m'aider. Et alors je comprends ce que je ne vois pas d'habitude: un pauvre diable passe la nuit assis sur une chaise devant la porte, grelottant dans la couverture crasseuse qu'il s'enroule autour du corps: c'est le gardien de nuit, un job de confiance. Cette fois ils sont deux, celui qui m'a aidée la veille, et le renfort du matin: une farandj et un pourboire garanti ! J'ai veillé à ce qu'ils reçoivent la même chose et j'en avais le coeur retourné. Est-ce ainsi que les hommes vivent ? Et pendant que j'attendais Santi (il avait sûrement dormi dans un endroit encore plus pitoyable), les deux portiers m'ont offert leur chaise et fait la conversation à leur manière, gestes et quelques mots, heureux quand je baragouinais mes rudiments d'amharique; et finalement ils avaient pour moi une attention pleine de bonté qui n'avait rien à voir avec l'obséquiosité, et ces pauvres hères avaient plus de noblesse que bien des goujats qu'on rencontre en Occident.

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